Le ministère de l’Agriculture demande aux Français qui le peuvent d’aller travailler dans les champs, car le secteur agricole manque de main-d’œuvre.

« Je veux lancer un grand appel à l’armée de l’ombre, un grand appel aux femmes et aux hommes qui ont envie de travailler, un grand appel à celles et ceux qui sont confinés chez eux ». Tels étaient les mots, mardi 24 mars 2020, du ministre de l’Agriculture Didier Guillaume.

Au micro de BFMTV, il appelait hier les Français à grossir les rangs de « la grande armée de l’agriculture française« , pénalisée comme beaucoup par l’épidémie du coronavirus.

Objectif : continuer à subvenir aux besoins alimentaires de l’Hexagone en aidant certains agriculteurs contaminés, pénalisés par le manque de saisonniers souvent étrangers ou contraints de réorganiser leur quotidien en ces temps de crise sanitaire.

 

200 000 postes saisonniers jusqu’en mai

« Tractoriste vigne », « ouvrier viticole », « tâcheron pour taille », « maraîcher complet », « apiculteur »… Les offres d’emplois saisonniers s’enchaînent sur le site internet desbraspourtonassiette.wizi.farm, lancé par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), l’Association nationale emploi formation agriculture (ANEFA), Pôle emploi et la startup Wizifarm pour faciliter la mise en relation des volontaires et des employeurs.

Le volontaire motivé, une fois inscrit, pourra accéder et déposer sa candidature aux offres de la filière. L’employeur pourra ensuite sélectionner les profils préalablement triés selon des critères « de disponibilités, de localisation, de savoir-faire et de centres d’intérêts » et entrer en contact avec eux via une messagerie interne.

« Nous comptons 200 000 postes vacants du mois d’avril au mois de mai. Une partie d’entre eux concernent la récolte, puisqu’il faut remplacer les renforts saisonniers, souvent étrangers, qui viennent d’habitude à cette période et ne peuvent plus circuler avec le coronavirus », indique à Actu.fr Mickaël Jacquemin, président de l’Association nationale emploi formation agriculture (ANEFA).

Parmi les filières concernées par cette pénurie de main d’oeuvre, le secteur de la chaîne laitière. « Nous comptons 10 à 30% d’absentéisme dans la zone Grand-Ouest, et 30% voire plus dans les régions les plus touchées par le coronavirus », détaille Caroline Le Poultier, directrice générale du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL).

« Pas besoin d’un bac+5, vos deux bras suffisent ! »

Pour ceux qui s’interrogent sur les compétences requises ou les profils recherchés, sachez toute aide est la bienvenue. « Pour quelques heures ou plus, au champ, au verger ou sur l’exploitation… Pas besoin d’un bac+5, vos deux bras suffisent ! », indique la page d’accueil du site.

Les ministères du Travail et de l’Agriculture ont encouragé les demandeurs d’emploi et salariés mis en chômage technique à rejoindre temporairement la filière. Au regard de l’état d’urgence sanitaire déclaré lundi 23 mars, « le salarié pourra cumuler son indemnité d’activité partielle avec le salaire de son contrat de travail dans la filière agroalimentaire », ont-ils annoncé dans un communiqué commun.

Et la Chambre d’agriculture a quant à elle créé une « bourse à l’emploi agricole » afin de « mettre en relation les agriculteurs qui ont des ouvriers disponibles pour les prêter à d’autres qui ont des besoins de main d’œuvre. »
« Toutes personnes en chômage partiel, au chômage, au RSA, les indépendants peuvent venir nous aider. Notre activité ne peut s’arrêter, nous avons besoin de votre aide », a renchérit Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA.
« Il ne s’agit pas d’une aide bénévole mais bien d’une véritable « activité économique rémunérée, avec une fiche de paie », souligne de son côté Mickaël Jacquemin.

La sécurité sanitaire, priorité de la filière

Mais lancer un appel national à venir donner un coup de main dans les champs alors que le confinement est proscrit et les déplacements limités face à la propagation du coronavirus, ne serait-ce pas un peu paradoxal s’interrogent certains.

La filière se veut rassurante en matière de sécurité sanitaire, sa « première préoccupation », explique Mickaël Jacquemin, qui attend encore « plus d’informations notamment juridique », de la part du gouvernement.

« Déjà, en temps normal, les mesures sanitaires sont très strictes dans l’agriculture. Pour notre part, nous travaillons le lait, une matière première très sensible. Il faut subir une formation spécifique, surtout pour les emplois de la chaîne de transformation, avant de pouvoir manipuler le lait », ajoute Caroline Le Poultier.

Par ailleurs, la MSA, la sécurité sociale agricole, a mis à disposition des agriculteurs employeurs des « fiches rappelant les consignes de sécurité et gestes barrière pour travailler en sécurité », téléchargeables depuis leur site.

Parmi les préconisations de la MSA :
– Une personne à la fois pour sa laver les mains au lavabo
– Un lavage régulier des mains, avant et après la prise de poste, entre chaque client, changement de matériel ou d’outil
– La mise à disposition de savon, de papier essuie-mains et « si possible du gel hydroalcoolique » pour les volontaires dans les champs
– Privilégier le travail côte à côte plutôt que face à face, avec toujours la distanciation entre les personnes (par exemple, si possible au moins 2 mètres)
– Éviter la transmission de supports entre les individus (crayons, papiers, documents…)
– « Quand cela est possible », mettre en place une entrée et une sortie permettant un flux de déplacement
– Privilégier l’activité individuelle et isolée. Donner les moyens de communiquer par téléphone ou tout dispositif de prévention du travailleur isolé (travailler sur des parcelles différentes, à plusieurs rangs d’écart…).
Si un certain flou persiste sur le respect stricte de ses mesure sanitaires, un guide pratique, établi par le ministère du Travail et les acteurs de la filière, doit voir le jour d’ici la fin de la semaine.
Privilégier le local

« Tous les coups de main sont les bienvenus ! », répète Mickaël Jacquemin, même s’il confirme « privilégier le local, dans la mesure où on doit limiter les déplacements« . Une optique partagée par la filière laitière, qui a dans un premier temps préféré faire appel à l’entourage des agriculteurs avant de se lancer dans un potentiel appel national, reconnaît Caroline Le Poultier.

Et partagée aussi par le gouvernement. « Nous faisons face à un nombre réduit de saisonniers européens qui remplissaient jusque-là les activités dans les champs, notamment la récolte. Nous avons donc besoin de travailleurs pour que ça continue à marcher », a ainsi déclaré Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, à l’issue de la réunion des ministres mercredi 25 mars 2020.
Mais il s’agit de déplacement local, ça n’a aucun sens de traverser la France pour aller ramasser des fraises gariguettes !

Et que les consommateurs se rassurent : aucune pénurie alimentaire n’est attendue. « Là où nous devons être vigilants, c’est plutôt concernant la main d’oeuvre et la continuité de la chaîne logistique, c’est-à dire du transport des produits (transformés) jusqu’aux rayons. Les récoltes – ou le lait, pour notre part – continuent d’être produits tous les jours de manière fluide », estime la présidente du CNIEL.

« Il n’y aura pas de retard d’approvisionnement« , confirme de son côté Mickaël Jacquemin, pour qui nous allons même faire face à une surproduction de certaines denrées, comme les pommes de terre et le lait.

49 000 volontaires déjà recensés

À ce jour, près de 49 000 volontaires ont été recensés depuis l’appel mardi de Didier Guillaume, se réjouit Mickaël Jacquemin :
À un moment, nous avons même enregistré une inscription par seconde sur la plateforme ! Ça prouve bien que pour ce genre d’initiative solidaire, dès qu’on appelle à l’aide, les Français répondent. Ça fait chaud au cœur.

Au-delà de ça, la filière agricole espère, pourquoi pas, susciter des vocations. Les métiers du lait enregistrent ainsi « 10 à 15% de postes vacants en permanence, à la fois parce que ce sont des métiers qualifiés et parce que les générations ont du mal à se renouveler », déplore Caroline Le Poultier.

« Structurellement, le problème de main d’oeuvre est malheureusement une tendance qu’on observe tout au long de l’année », remarque de son côté le président de l’ANEFA.

Avant d’ajouter : « On ne peut qu’espérer qu’à la sortie de cette crise, on retienne que l’agriculture embauche, avec une multitude de métiers : outre le travail de la terre, nous touchons à l’agroalimentaire, la biochimie, les carburants, l’énergie… »