Ancien président du Ghana, Jerry Rawlings a appartenu à une génération de jeunes militaires avides de réformes en Afrique de l’Ouest. Son impact sur la vie politique du Ghana s’est avéré unique et durable.

Jerry John Rawlings, de son vivant, était déjà entré dans les annales. Surnommé « le rédempteur » au Ghana ou le « Che africain » par la presse internationale, il a fait partie des rares chefs d’État africains à avoir quitté pacifiquement le pouvoir, après avoir réformé leur pays en profondeur.

Chantre de la « bonne gouvernance », cet esprit libre qui ne mâchait pas ses mots est adulé par plusieurs générations d’Africains pour les valeurs d’intégrité et de respect du peuple qu’il défendait. Il représente pour certains une figure héroïque, de la même envergure que le capitaine Thomas Sankara, avec qui il avait des liens d’amitié.

Un électrochoc à la classe dirigeante

Cet ancien capitaine d’aviation à la carrure imposante et au tempérament révolté entre dans l’Histoire à 32 ans, en 1979. Son pays, l’ancienne et prospère Gold Coast britannique, indépendante depuis 1957, sombre dans la misère. Une poignée de généraux corrompus mène le jeu depuis 1966. Fils d’un ingénieur chimiste écossais qui ne le reconnaît pas et d’une Ghanéenne, Jerry Rawlings devient pilote de chasse en 1969.

Dans un contexte d’hyper-inflation et de répression, cette forte tête manque son premier putsch en mai 1979. Il se fait arrêter au Castel, la résidence présidentielle. Lors de son procès public, qu’il transforme en tribune politique, il appelle à une « révolution éthiopienne », suceptible de purger le pays de ses dirigeants corrompus. Il est acclamé. Trois semaines plus tard, il récidive et réussit son putsch.

Il forme une junte et fait fusiller huit généraux dont trois anciens chefs d’État sur une plage, infligeant un véritable électrochoc à la classe dirigeante. Quelques mois plus tard, il rend le pouvoir aux civils, à l’issue d’élections auxquelles il n’est pas candidat. En décembre 1981, constatant que la gabegie et la corruption ont repris leurs droits, il mène sont troisième coup d’Etat. Et décide de prendre les choses en main, se positionnant en libérateur opposé aux responsables « véreux ». « Certains pensent que je déteste les hommes d’affaires, dit-il, mais ce n’est pas le cas. Je déteste les hommes d’affaires malhonnêtes parce que certains parviennent à corrompre la fibre morale de notre société ».

Dix-huit ans de pouvoir

La présidence de ce nationaliste africain et populiste de gauche se scinde en deux temps. De 1982 à 1992, le capitaine aux accents révolutionnaires reste un militaire et renoue avec la philosophie panafricaine et tiers-mondiste du père de l’indépendance, Nkwame N’Krumah. Opposé à tous les « exploiteurs de l’Afrique » il se rapproche de Cuba et de la Libye. Ce qui ne l’empêche pas de suivre un ligne pragmatique, et d’engager en 1983, face à la crise économique, une cure d’austérité libérale. Il applique l’un des premiers programmes d’ajustement structurel triennal avec le FMI et la Banque mondiale, contre des aides de près d’un milliard de dollars pour 1984 et 1985.

Après la fin de la Guerre froide, il suit le mouvement de démocratisation engagé avec le discours de La Baule, même si la France de François Mitterrand ne compte pas le Ghana dans sa zone d’influence. En 1992, alors qu’un autre jeune militaire, Amadou Toumani Touré (ATT), vient de renverser la dictature de Moussa Traoré au Mali, il quitte l’armée, introduit en 1992 le multipartisme, fonde son parti et se fait élire. Puis réélire sans difficulté en 1996 pour un nouveau quinquennat.

En 2000, il respecte la Constitution de 1992, qui limite à deux le nombre de mandats. Il soutient son dauphin, le vice-président John Atta Mills, et s’incline face à la victoire de l’opposant John Kufuor, donnant l’exemple. John Atta Mills est élu à son tour en 2008, et forme un gouvernement auquel Jerry Rawlings ne participe pas.

Une voix critique

« Je n’apprécie pas spécialement d’étre décrit comme populaire. Après tout, la popularité peut s’acheter. Je préfère passer pour un homme de confiance », déclare-t-il au micro de RFI en septembre 2009.

À la retraite à 53 ans, Jerry Rawlings, père de trois filles, s’est fait discret, tout en incarnant la bonne conscience démocratique du Ghana et en jouant les garde-fous. Il a été l’envoyé spécial de l’Union africaine (UA) en Somalie, en 2010, et gardé un œil sur son parti, le Congrès démocratique national (NDC).

En sont issus deux de ses successeurs, John Atta-Mills (2009-12) et John Mahama (2012-17), qu’il a régulièrement critiqués, les accusant sans détours de corruption. Le Ghana, qui va aux urnes le 7 décembre pour la prochaine présidentielle, est l’un des rares exemples ouest-africains, avec le Cap-Vert, de pays où des alternances démocratiques se font sans heurts.

Avec son blog, « J. J. » restait accessible, via une page contact comprenant les numéros de téléphone et le mail de son « bureau ». Il partageait ses réflexions sur l’état du Ghana, assenant que « le piège de la célébrité et du pouvoir nous corrompt », ou que « la poursuite de l’argent a mené à un état de stupidité et d’irresponsabilité ».