Agé de 78 ans, le chef de l’Etat ivoirien invoque un « cas de force majeure » après la mort de son dauphin, en juillet. L’opposition lui conteste le droit de se représenter en vertu de la Constitution.

Alassane Ouattara a mis fin à un suspense qui n’en était pas vraiment un en annonçant, jeudi 6 août, qu’il allait briguer un troisième mandat à la tête de la Côte d’Ivoire lors de l’élection présidentielle d’octobre. Le chef de l’Etat avait laissé entendre la semaine dernière qu’il se représenterait, après la mort brusque, début juillet, de son dauphin désigné, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly.

Invoquant un « cas de force majeure », M. Ouattara, 78 ans, a pris soin d’expliquer sa décision, un revirement puisqu’il avait annoncé solennellement en mars qu’il allait « laisser la place aux jeunes générations », avant d’adouber M. Gon Coulibaly, lequel a succombé à un infarctus le 8 juillet à l’âge de 61 ans.

« J’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens me demandant d’être candidat. Je suis donc candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre », a-t-il déclaré, dans un discours de près de 25 minutes à la télévision publique à la veille du 60anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

« Dans l’intérêt supérieur de la nation »

Après avoir annoncé, en mars son intention de ne pas se représenter, « j’avais commencé à organiser mon départ (…) et planifier ma vie après la présidence », a raconté Alassane Ouattara, qui s’exprimait debout derrière un pupitre, à côté d’un drapeau ivoirien.

Mais « le décès du premier ministre Amadou Gon Coulibaly laisse un vide »« Le calendrier très serré, à peine à trois mois de la présidentielle »« les défis auxquels nous sommes confrontés, le maintien de la paix et la sécurité », la « crise sanitaire »« le risque que tous nos acquis (depuis 2011) soient compromis »« tout cela m’amène à reconsidérer ma position », a justifié M. Ouattara.

« Cette décision mûrement réfléchie est un devoir que j’accepte dans l’intérêt supérieur de la nation. »

« Compte tenu de l’importance que j’accorde à mes engagements et à la parole donnée, cette décision représente un vrai sacrifice pour moi, que j’assume pleinement par amour pour mon pays », a-t-il affirmé.

La question constitutionnelle

Le 29 juillet, devant le conseil politique de son parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui le pressait de se présenter, le président Ouattara avait demandé qu’on lui laisse « le temps du recueillement et de la récupération » pour faire le deuil d’Amadou Gon Coulibaly, son plus proche collaborateur depuis trente ans, qu’il appelait « son fils ». Il avait ajouté qu’il s’adresserait à la nation pour faire part de sa décision.

Dès avant son annonce, la candidature à un troisième mandat d’Alassane Ouattara, élu en 2010 puis réélu en 2015, était contestée par l’opposition.

La Constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels, mais selon l’interprétation qu’en fait le pouvoir, l’adoption de cette nouvelle loi fondamentale en 2016 a remis les compteurs à zéro.

L’ex-président, Henri Konan Bédié, a déclaré récemment que cette candidature « serait illégale ». Agé de 86 ans, il est lui-même le candidat désigné du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), principale formation d’opposition.

Plusieurs candidats déjà déclarés

Outre M. Bédié, plusieurs candidats se sont déjà déclarés pour la présidentielle d’octobre.

L’ex-chef de la rébellion Guillaume Soro, 48 ans, ancien premier ministre de M. Ouattara passé dans l’opposition l’an dernier, a été condamné à vingt ans de prison par la justice ivoirienne pour « recel de détournement de deniers publics » peu après s’être déclaré candidat. Il vit en exil en France.

L’opposant Pascal Affi N’Guessan, 67 ans, un ancien proche de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, s’est déclaré candidat samedi, au nom de l’une des deux factions du Front populaire ivoirien (FPI), la deuxième grande formation d’opposition. Mais les fidèles de Laurent Gbagbo attendent son retour, depuis son acquittement par la Cour pénale internationale de La Haye, et accusent le pouvoir ivoirien de manœuvrer pour l’empêcher.

Deux anciens alliés du président Ouattara se sont aussi déclarés candidats ces dernières semaines : l’ex-ministre de l’enseignement supérieur Albert Mabri Toikeusse, 58 ans, dirigeant d’un petit parti qui a rompu avec le pouvoir, et l’ex-ministre des affaires étrangères Marcel Amon Tanoh, 68 ans.

La situation politique est tendue en Côte d’Ivoire à trois mois de la présidentielle, dix ans après la crise post-électorale qui avait fait 3 000 morts.