Le chanteur et ancien ministre de la Culture Gilberto Gil devient lyrique lorsqu’il parle de Pelé : « Il était une étoile brillante qui étincelait dans le ciel noir des Brésiliens. » Il évoque, bien entendu, les temps sombres de la dictature militaire qui, dès 1964, imposa ses lois liberticides et la torture pour chasser « le péril communiste ». À chaque victoire, le célèbre numéro 10 donnait au peuple cette fierté perdue et ressoudait la nation. Il fut celui qui, selon le dramaturge Nelson Rodriguez, dissipa « ce complexe du bâtard », cette image de « chien des rues » qui, paraît-il, collait aux Brésiliens après la défaite de l’équipe nationale contre l’Uruguay, en 1950, au stade de la Maracana, à Rio de Janeiro.

Pelé ou comment le football est devenu une religion dans un pays qui a fait de la statue du Christ Rédempteur l’un de ses symboles, Pas besoin de faire de la politique pour cet homme du peuple qui emmena trois fois la fameuse Seleçãovers la victoire en finale de la Coupe du monde : d’abord, en Suède (1958) alors qu’il avait à peine dix-sept ans, puis au Chili (1962) et, enfin, au Mexique (1970), après l’affront de l’élimination dès le premier tour, en 1966, en Angleterre.

Le pays avait beau être secoué politiquement, Pelé l’intouchable survolait toutes les crises de régime sans perdre son sourire ni son coup de pied magique. Certains mauvais esprits lui reprocheront d’ailleurs cette espèce de neutralité pendant les années sombres du général Médici. En toute franchise et avec humilité, Pelé s’en explique face caméra, ni activiste ni béni-oui-oui : « Je n’étais pas un faiseur de miracles, avoue-t-il, mais je crois que j’ai fait beaucoup plus pour le Brésil avec mon football et en étant moi-même que bien des hommes politiques payés pour le faire. »

Cireur de chaussures
Alors, Pelé, héros national, devient une idole absolue dans le monde du football. Un nom scandé comme un cri de victoire. Cette notoriété planétaire va lui peser longtemps, comme le souligne l’excellent documentaire produit par le réalisateur britannique Kevin Macdonald (Le Dernier Roi d’Écosse). L’homme, que l’on voit, dès les premières images, marcher en déambulateur et s’asseoir lourdement sur un fauteuil, explique son parcours exceptionnel avec des mots simples en insistant sur le travail collectif avec ses coéquipiers, Zagallo, Jairzinho et Rivelino. Tous trois témoignent également sur ces douze années vécues ensemble pendant les trois Coupes du monde. Lorsque l’émotion est à son comble, Pelé pleure, et ses mots sont poignants de simplicité, de sincérité.

« Pelé est arrivé au moment où le Brésil est devenu un pays moderne. Un Brésil qui croyait en sa réussite », souligne justement Fernando Henrique Cardoso, président du Brésil de 1995 à 2003.

Né en 1940, à Três Corações, dans le Minas Gerais, dans une famille modeste, le jeune Edson Arantes do Nascimento se met très jeune au ballon rond grâce à son père footballeur. La famille n’a pas beaucoup d’argent, et Edson, après l’école, devient cireur de chaussures. Il intègre le Santos FC à quinze ans. Très vite, il est remarqué par ses qualités de buteur et devient titulaire de l’équipe du Brésil, deux ans plus tard, pour participer à la Coupe du monde en Suède en 1958. C’est le début d’une carrière éblouissante jusqu’à l’apothéose de la Coupe du monde à Mexico, en 1970, avec une finale historique contre l’Italie battue 4 à 1.

Pélé, un documentaire Netflix 
Une victoire sur soi-même, selon Pelé, qui, à 29 ans, réussit l’exploit d’avoir fait triompher trois fois le Brésil, non sans avoir beaucoup douté, prié et souffert par ses blessures. « Je ne suis pas mort ! » crie-t-il dans les vestiaires pour mieux se libérer de cette pression terrible qui repose sur ses épaules. Gilberto Gil, toujours lyrique, revient aux années de plomb de la dictature militaire et inscrit Pelé comme le catalyseur de ce psychodrame national : « Au milieu du tumulte, il y avait une oasis de beauté, d’émotions positives et stimulantes. »

Après tout, n’est-il pas devenu une star adulée de tous et dont la popularité va s’accélérer avec l’essor de la télévision ? Un témoin rappelle cette folie qui s’empare du Brésil et du monde : « Les filles rêvaient d’avoir Pelé comme petit ami, les garçons comme frère, les parents comme fils et tout le monde voulait Pelé comme voisin. »

Cinquante ans plus tard, celui qui a enregistré 1 283 buts en 1 367 matchs est devenu une sorte de sage qui refait avec modestie le parcours de sa vie, sans jamais surjouer. Il n’a fait que croire en lui et à sa bonne étoile. Le reste appartient sans doute à la magie. Celle d’un homme qui avait des ailes sur un terrain de foot, mais n’a pas oublié cette caisse de cirage en bois sur laquelle il tape avec ses doigts un rythme de batucada.