L’association, qui vient en aide aux personnes les plus fragiles, est en difficulté en cette période de confinement. Emmaüs a besoin d’argent, mais pas que.

C’est un appel aux dons historique pour Emmaüs. Pour la première fois depuis 70 ans, l’association sollicite de l’aide, elle dont le modèle repose sur l’autonomie et la reconstruction par le travail.
Mais avec le confinement liée à l’épidémie de Covid-19, l’association qui accompagne quelques 20 000 personnes démunies en France, dont 6 000 à 7 000 compagnons, accuse le coup.

Ses activités de récupération, réparation et revente d’objets, qui assurent les recettes de l’association, sont à l’arrêt. Un coup dur pour Emmaüs qui ne touche aucune subvention et soutient, par son action, sans-abri, chômeurs de longue durée, migrants, familles endettées… au moment où ces populations ont le plus besoin d’elle.

Confinement dans la bonne humeur au sein des communautés
Les compagnons issus de la rue accueillis dans les 289 groupes Emmaüs sont hébergés sur place dans les communautés. Chaque compagnon est logé, nourri, blanchi, en échange d’un travail qu’il fournit pour la communauté. Un moyen d’apprendre à se réinsérer par le travail.

Mais le confinement collectif actuel n’est pas simple à organiser. Olivier Morel est le président de la communauté de Wambrechies, près de Lille, qui compte 50 compagnons de 20 à 78 ans et 5 salariés. Il explique à actu :
Tout le monde est en confinement total mais ce n’est pas simple pour se comprendre, on a 18 nationalités différentes ! On s’est organisé : le matin, réparation en interne, du magasin, du foyer… et l’après-midi quartier libre en confinement, baby-foot, ping-pong, pétanque… pour se sentir bien et utile.

Des masques, visières, gants et du gel ont été distribués afin d’assurer les garanties de sécurité sanitaire suffisantes. Olivier Morel se réjouit du témoignage d’un de ses compagnons, présent depuis 35 ans :
Il m’a envoyé un message : « Je n’ai jamais vu la communauté aussi belle ». Preuve que l’ambiance est bonne malgré tout.

Mais 5 millions d’euros à trouver
Mais derrière les images de bonne ambiance, Olivier Morel sait que la situation économique est grave.
« C’est la première fois que l’on demande de l’aide », reconnaît humblement auprès d’actu Jean-François Maruszyczak, directeur général d’Emmaüs France :
Demander de l’argent, ce n’est pas nous, on ne sait pas faire, ce n’est pas notre tradition. Mais nous avons une responsabilité, on ne peut pas attendre que les gens se retrouvent à la rue.
Un appel plutôt bien entendu. En deux jours (au 20 avril), plus de 1,4 million de dons ont déjà été reçus. L’association espère en récupérer 5 millions. « C’est la preuve qu’Emmaüs fait partie du patrimoine de la France. »

Un modèle fragilisé
Mais ce patrimoine a un coût. « Un mois d’activité, c’est 20 millions de chiffre d’affaires, détaille le directeur général. Or les communautés de compagnons nous coûtent en moyenne 70 euros par jour et par personne. Avec le confinement, puis le déconfinement, on va être peut-être à 3-4 mois d’inactivité, voire plus… »
Une situation intenable qui a obligé l’association à venir en aide rapidement aux groupes « en besoin de trésorerie » urgente. Emmaüs a créé un fonds d’entraide. « On a déployé un million d’euros à répartir en fonction des besoins spécifiques », indique Jean-François Maruszyczak, qui tire la sonnette d’alarme :
L’association est très fragilisée, de réelles craintes pèsent sur notre modèle économique qui alimente notre modèle social.

Une aide précieuse aux personnes dans le besoin
Ce sentiment est partagé près de Rouen par Philippe Dupont, directeur du Centre Abbé Pierre Emmaüs à Esteville, ou encore près de Lille par Olivier Morel. Ce dernier rappelle qu’Emmaüs, ce n’est pas que les compagnons et une boutique de vente de meubles et d’objets d’occasion.

Emmaüs vient aussi en aide aux familles en grande difficulté financière voire en détresse, on participe à l’aide à l’accès au logement des populations les plus fragiles, on fait des maraudes pour les SDF…
Une mission sociale soumise à des frais incompressibles, comme l’explique Olivier Morel.

Comme tout le monde, même pendant le confinement, on paye nos factures, l’électricité, nos fournisseurs, les assurances… Pour le moment, on a la trésorerie mais il ne faut pas que ça dure. Certains groupes locaux sont dans le rouge, ils n’ont plus de trésorerie depuis les deux premières semaines de confinement…

Un rôle à jouer après le déconfinement
Si la date du 11 mai est dans tous les esprits, les incertitudes demeurent. Pourront-ils rouvrir dès le 11 mai ?
Jean-François Maruszyczak est inquiet. « Déjà, on a la crainte que les gens ne se précipitent plus sur de la marchandise de seconde main, par crainte, mais aussi qu’ils donnent moins ».

Au-delà de l’appel aux dons de 5 millions, « la prochaine étape, c’est peut-être une aide de l’Etat », reconnaît Jean-François Maruszyczak, pour qui il y a besoin « d’un plan Marshall, pour redéfinir quelle est l’utilité d’Emmaüs ».
Quand on voit la situation économique actuelle, on ne peut que penser que pour certains, ça ne passera pas. Il y aura besoin encore plus d’amortisseurs sociaux et associatifs. On aura notre rôle à jouer pour accompagner et dépanner les personnes en grande difficulté.

Olivier Morel, de son côté, réfléchit à son échelle locale à l’après 11 mai. Et il a déjà quelques idées, comme lisser les ouvertures sur la semaine, au lieu du mercredi et du samedi seulement, proposer de la vente d’objets en ligne…