Le président Muhammadu Buhari a pris les habitants de Lagos et d’Abuja de court, en annonçant dimanche soir 29 mars une interdiction de « tout mouvement » pendant au moins quatorze jours dans ces deux Etats qui enregistrent la grande majorité de la centaine de contaminations officiellement enregistrée dans le pays.

« Nous ne sommes pas prêts, s’emporte Abdul Rahim, un vendeur du marché, toujours autorisé à vendre huile, farine ou maïs. L’Etat de Lagos a démenti tout couvre-feu la semaine dernière et, maintenant, le président annonce un confinement total. » « Deux semaines, c’est beaucoup trop long, les fournisseurs ne peuvent même pas suivre. Les gens ont faim et ils ne pourront jamais faire de stock », regrette Abdul.

« Une question de vie ou de mort »

Muhammadu Buhari a assuré que les magasins de nourriture et les stations-service resteraient ouverts, mais il n’était pas clair dans son allocution si les dizaines de millions d’habitants des deux villes pourraient s’y rendre. « Nous savons que ces mesures vont causer beaucoup de difficultés », a concédé l’ancien général de 77 ans, dans un pays qui compte près des deux tiers de sa population vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté et dépendant essentiellement de l’économie informelle pour survivre. « Mais c’est une question de vie ou de mort », a-t-il tranché.

Dans le marché d’Obalende, les clients se précipitaient vers les derniers étals ouverts pendant que des véhicules de l’Etat de Lagos diffusaient des messages de prévention et distribuaient du gel hydroalcoolique. A la sortie de l’Etat de Lagos, sur la route vers Abeokuta, des files immenses de voitures se formaient devant les marchés.

De nombreux pays d’Afrique subsaharienne – Ghana, Afrique du Sud, Congo-Brazzaville – ont décrété le confinement total ou partiel de leurs populations face à l’augmentation très inquiétante de cas déclarés au Covid-19 sur le continent (150 morts et près de 5 000 cas recensés officiellement).

Premier décès dû au Covid-19 en Côte d’Ivoire

A partir de lundi, le Zimbabwe et la quasi-totalité de ses 16 millions d’habitants ont reçu l’ordre de rester chez eux. Si le nouveau coronavirus se propage dans ce pays d’Afrique australe, usé par deux décennies d’une crise économique et financière qui ont laminé ses services publics, les pénuries et la menace de famine, le bilan sera catastrophique, a prévenu le président Emmerson Mnangagwa.

La même crainte se profile en République démocratique du Congo (RDC), où deux nouveaux cas ont été enregistrés dans le Sud-Kivu, déjà terrassé par des décennies de conflit.

En Côte d’Ivoire, qui enregistrait dimanche son premier décès dû au Covid-19 et 165 cas officiels, l’isolement de la capitale économique Abidjan (5 millions d’habitants) du reste du pays initialement prévu jeudi est finalement entré en vigueur dès lundi matin.

De son côté, le président béninois Patrice Talon, a déclaré dimanche que le pays « n’avait pas les moyens des pays riches » pour confiner sa population, préférant l’instauration de cordons sanitaires autour des grands foyers urbains. « Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées », a ajouté le chef de l’Etat, critiqué pour le peu de mesures de protection prises dans son pays de 11 millions d’habitants.

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« Les mesures de distance sociale, qui sont applicables dans les pays riches, pourraient être sans effet dans des quartiers surpeuplés où il n’y a pas de sanitaires », écrivait l’économiste John Ashbourne, dans une note pour le cabinet de conseil Capital Economics. Il rappelle également qu’un foyer moyen au Nigeria comporte 4,7 personnes (contre 2,5 individus en Corée du Sud) et qu’à peine 2 % d’entre eux disposent de l’eau courante.

Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Liberia, pays ayant eu à affronter la terrible épidémie d’Ebola en 2014, a publié lundi une lettre ouverte où elle se désole pour le continent : « Pour l’instant, les nations africaines ont évité le pire, mais ce n’est qu’une question de temps pour que la pandémie gagne un continent qui est le moins préparé pour y faire face. »

Le Monde avec AFP