Protections, dépistage, cartographie : la maire de Paris, Anne Hidalgo, dévoile ses pistes pour le déconfinement de la capitale .
“Les masques et les tests, voilà notre priorité!”, affirme Anne Hidalgo. La maire de Paris explique, dans le JDD, la manière dont elle envisage la suite, l’après-confinement. Parmi ses propositions : mettre en place des quatorzaines dans des chambres d’hôtels pour les personnes positives au Covid-19 qui ne peuvent rester confinées chez elles sans contaminer leur famille ; créer provisoirement des axes au-dessus des lignes de métro les plus empruntées pour les vélos ; installer des distributeurs dans les rues, sur les abribus, les kiosques… Concernant les masques, Anne Hidalgo indique qu’à la mi-mai, “tous les Parisiens pourront être équipés”.

Quel bilan dressez-vous de la situation à Paris après plus d’un mois de confinement?
Le confinement, dans une ville comme Paris, paraissait impossible. Une moyenne de 20.000 habitants au km², voire 40.000 dans certains quartiers ; beaucoup de familles vivant dans de petits appartements ; une grande hétérogénéité sociale, 3.500 personnes à la rue ; de nombreuses personnes âgées, en Ehpad ou à domicile… C’était assez vertigineux. Les Parisiens ont été au rendez-vous. Je les en remercie.

Faut-il maintenant dépister massivement la population parisienne?
Evidemment! Il faut utiliser massivement les tests pour mieux gérer à la fois le confinement et la sortie du confinement. Je le dis en m’appuyant sur des avis médicaux, dont celui du Dr Philippe Klein, le médecin français qui, à Wuhan, a géré en première ligne le début de l’épidémie, mais aussi en observant ce qui se passe dans d’autre villes, en Corée du Sud ou en Allemagne. J’ai beaucoup insisté pour qu’un dépistage systématique des personnels et des résidents soit effectué dans les Ehpad parisiens publics et privés. Nous les avons déployés avec l’Agence régionale de santé (ARS). Nous continuerons sur d’autres populations, comme les milliers d’agents municipaux en contact avec le public. Pour cela, nous avons commandé des tests PCR et nous continuons à le faire.
“A l’Hôtel Dieu, on dépiste jusqu’à 400 personnes par jour. On pourrait monter jusqu’à 1.000”

Où les gens seront-ils testés?
Plusieurs lieux sont déjà ouverts. A l’Hôtel Dieu, on dépiste jusqu’à 400 personnes par jour. On pourrait monter jusqu’à 1.000. A l’hôpital Rothschild, dans le 19e arrondissement, un “drive” permet de tester des personnes qui présentent des symptômes.

Utiliserez-vous des tests sérologiques?
La difficulté, c’est que ces tests ne sont pas disponibles, ou alors pas encore suffisamment fiables. Nous regardons ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas. Les fabricants français, situés en Bretagne et à Strasbourg, attendent toujours des homologations pour les commercialiser. Des pays comme la Chine, la Corée du Sud ou l’Allemagne se sont déjà appuyés sur ces tests. Ils nous permettront de gérer le déconfinement en identifiant qui a des anticorps ou pas. Par mesure de sécurité, la Ville de Paris a décidé de faire une précommande de 150.000 unités.

Faut-il effectuer une sérologie massive de la population parisienne?
Après avoir appuyé sur pause, nous allons réinitialiser une ville de 2,2 millions d’habitants, sans compter celles et ceux qui viennent y travailler tous les jours. Comment remettre tous les secteurs en activité? Il faut accompagner les Parisiens pour qu’ils puissent envisager le retour à une vie un tant soit peu normale, en courant le moins de risques possibles. Il ne s’agit pas de tester tout le monde, de façon autoritaire. Il faut tester en priorité celles et ceux qui sont amenés à être en contact avec le public. De plus, cette épidémie a une dimension sociale importante. Dans certains quartiers, où des habitants ont peu de culture de prévention et pas de médecin traitant, la maladie est plus virulente qu’ailleurs. C’est pour cela qu’une cartographie de Paris, actuellement dressée avec l’AP-HP, nous permettra, si tel ou tel quartier est davantage touché par l’épidémie, d’engager des circuits de dépistage massifs pour cantonner les foyers d’infection et donc éviter la réapparition de clusters. C’est ainsi qu’il faut agir.
“L’idée est que les gens positifs au Covid qui le souhaiteraient puissent disposer d’une chambre, pendant deux semaines”

Comment faire, concrètement, pour isoler les malades?
La ville de Paris et l’APHP vont lancer dans les prochains jours une opération appelée “Covisan”. Le groupe Accor nous a proposé, dans Paris, la mise à disposition d’hôtels, comme à Barcelone. L’idée est que les gens positifs au Covid qui le souhaiteraient puissent disposer d’une chambre, pendant deux semaines, c’est-à-dire le temps de la quatorzaine, dans des hôtels parisiens. Nous avons travaillé avec deux grands hôpitaux parisiens, Bichat (18e) et la Salpêtrière (13e), ainsi qu’Avicenne en Seine-Saint-Denis. Nous avons cherché les chambres disponibles aux alentours et ouvert la démarche : quand on détectera un cas positif qui ne peut rester confiné chez lui sans contaminer sa famille, on lui offrira la possibilité d’aller passer sa quatorzaine dans un hôtel, où il bénéficiera d’un suivi médical et d’un accompagnement adapté. Petit à petit, d’autres hôpitaux et territoires entreront dans cette démarche. Ce projet devrait permettre d’éviter les reprises de propagation du virus.
La question de l’isolement, justement, semble constituer une des faiblesses de la réplique française à l’épidémie…
Le confinement a été très utile pour freiner l’épidémie afin que nos services de réanimation et d’urgence puissent tenir. Ils tiennent. Et vraiment, merci et bravo à eux. Mais, même dans le confinement, il reste des risques de contaminations intra-familiales ou dans les cercles de proches. Pour les éviter, il faut proposer quelque chose de plus. Sans l’imposer, car nous sommes un pays de liberté.

Autre question qui fâche, celle des masques. Où en êtes-vous dans la capitale?
Pour les personnels de la Ville, nous avions déjà des stocks qui nous ont aussi permis, au démarrage de l’épidémie, de dépanner l’AP-HP de 2,5 millions de masques, les infirmiers et médecins libéraux de 500.000 masques, et également tous les Ehpad de Paris et des collectivités voisines. Nos agents ont ainsi pu être équipés et maintenir le service public. Depuis, nous avons passé de nouvelles commandes.
“Les 500.000 premiers masques seront disponibles à la fin avril. Ils seront prioritairement distribués aux plus fragiles”

Et pour les habitants?
On s’est orienté vers une fabrication de masques en tissu, homologués, lavables, que nous distribuerons gratuitement aux Parisiens. Près de 200.000 seront fabriqués par la société Boldeduc, 200.000 par le réseau Résilience et 1,5 millions par Coco Et Rico, trois entreprises que je remercie. Tous ces masques sont produits en France. Et 100.000 masques supplémentaires vont être assemblés par des entreprises parisiennes de l’économie sociale et solidaire.

Quand les Parisiens vont-ils en bénéficier?
Les 500.000 premiers masques seront disponibles à la fin avril. Ils seront prioritairement distribués aux plus fragiles : les plus de 70 ans, mais aussi les personnes atteintes de maladie chronique et les femmes enceintes. Nous discutons avec les pharmacies parisiennes pour qu’elles puissent être les lieux de distribution de ces masques, sur présentation d’un justificatif. A la mi-mai, tous les Parisiens pourront être équipés. C’est une dépense que nous inscrivons à la charge de la Ville, de l’ordre de 3 millions d’euros.

Comment généraliser l’usage du gel hydroalcoolique?
C’est très important! L’OMS a rendu publique la formule du gel hydroalcoolique, et un pharmacien parisien du 6e arrondissement a lancé une fabrication à grande échelle à côté de sa pharmacie. La Ville assurera la diffusion de gel, gratuitement, dans les lieux publics, les stades, les piscines, les écoles et les crèches. Nous travaillons aussi avec JCDecaux pour installer des distributeurs dans les rues, sur les abribus, les kiosques… Et avec la RATP pour en placer dans les bouches de métro.
Sera-t-il possible d’imposer une distanciation sociale dans des métros et RER bondés?
Une discussion est en cours avec le préfet de région et la présidente du conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse. J’imagine mal que le port du masque ne soit pas une évidence pour se protéger et protéger les autres.

Doit-il être obligatoire?
Vu la promiscuité dans les rames, cela me semble vraiment nécessaire.
“J’envisage d’aménager provisoirement des axes au-dessus des lignes de métro les plus empruntées, pour que les gens qui se sentent davantage en sécurité en vélo puissent facilement circuler”
Votre premier adjoint, Emmanuel Grégoire a laissé entendre que des artères parisiennes pourraient être transformées en “pistes cyclables provisoires”…
Des études ont montré que la pollution atmosphérique peut avoir un effet aggravant sur l’épidémie. Si par crainte de la propagation du virus dans le métro, on repart sur une augmentation du trafic de voitures individuelles, on risque d’aggraver le mal! C’est pourquoi j’envisage d’aménager provisoirement des axes au-dessus des lignes de métro les plus empruntées, pour que les gens qui se sentent davantage en sécurité en vélo puissent facilement circuler. Concrètement, nous voulons doubler les lignes 1, 4 et 13 par des réseaux vélo en surface, sur les mêmes trajets.

Donc des rues réservées à la circulation des vélos?
Oui, temporairement. C’est de l’urbanisme tactique : il s’agit d’offrir une alternative aux usagers du métro qui ne soit pas la voiture, pour ne pas se retrouver avec plus de pollution. Ce serait catastrophique. Cela facilitera le retour des Parisiens, mais aussi des habitants de banlieue, à leurs activités professionnelles. Je veux travailler en bonne intelligence avec la Région Ile-de-France et la Métropole du Grand Paris. J’en parlerai prochainement à Valérie Pécresse.

Pourriez-vous aussi piétonniser temporairement des rues?
En dehors des grands axes, on pourrait légitimement réserver certaines rues aux piétons. La question de l’usage de l’espace public dépendra de la façon dont on sortira du confinement. Toutes les activités reprendront-elles en même temps? Je n’y suis pas favorable. Je souhaite avoir une discussion avec les grands acteurs économiques pour leur demander de prolonger le télétravail au-delà du 11 mai quand c’est possible, ou d’organiser le travail des équipes par roulements. Nous le ferons à la Ville. Si tous les usagers du métro retournent au travail mi-mai, l’épidémie risque de repartir de plus belle. Il ne faudrait pas qu’on soit obligé de reconfiner quinze jours après.

Comprenez-vous la controverse née de la décision d’interdire le jogging entre 10h et 19h?
C’est une très bonne décision du préfet de police, donc de l’Etat, que j’ai pleinement accompagnée. Nous avons été confrontés à un problème de cohabitation entre les gens qui sortent faire leurs courses ou se promènent brièvement dans la journée, et des joggeurs qui, au même moment, les frôlaient dans les rues. Quand vous faites un effort physique, vous avez une propension à envoyer des gouttelettes bien plus loin que quand vous marchez. Vous risquez donc de contaminer une personne âgée. Le sujet a été très médiatisé, mais c’est loin d’être la préoccupation majeure des Parisiens, qui se sont adaptés. Nous sommes en train d’évaluer ses effets concrets dans la durée et nous verrons, avec le préfet de police, comment il est possible de l’aménager.
 
Comment envisagez-vous la réouverture “progressive” des établissements scolaires et des crèches?
Je n’imagine pas une réouverture de toutes les écoles le 11 mai. Je préconiserais pour ma part un déconfinement progressif des établissements scolaires qui prenne en compte les questions éducative, sociale et économique : c’est-à-dire faire revenir en priorité les élèves qui ont décroché, ceux issus de familles monoparentales en grande précarité, ceux en situation de handicap et ceux des salariés indispensables au redémarrage de la machine économique et des services publics essentiels. Il faut réouvrir les écoles et les crèches de manière ciblée et méthodique.
Les petits Parisiens ne retourneraient pas tous en classe en même temps?
C’est au gouvernement d’en décider, mais la Ville compte bien proposer cette méthode. On peut très bien imaginer que tous les élèves d’une même école n’y retournent pas en même temps pour alléger les classes. Ou que les enfants n’aillent pas à l’école tous les jours, ou toute la journée. On peut s’organiser par classe d’âge, ou par niveau. Il faudra aussi sans doute aussi à terme des tests dans les écoles. Si besoin, la Ville en fournira.

Le gouvernement a-t-il bien géré la crise?
C’est une crise totalement inédite, ce n’est pas le temps des commentaires. On verra à la fin comment les Français jugent le travail de ceux qui sont en responsabilité. Ce que je peux vous dire, c’est que tous les jours je suis en lien étroit avec l’ARS, l’AP-HP, les préfets et que nous essayons de relever ensemble tous les défis, qui sont colossaux.
Rachida Dati estime que votre gestion “n’est pas à la hauteur d’une crise d’une telle ampleur” et réclame des “opérations de désinfection” des rues de Paris, comme à Nice ou Cannes…
Les Parisiens lui répondront directement. Sur la désinfection des rues, le sujet est derrière nous : j’ai posé la question aux autorités de santé qui m’ont répondu que ça ne sert à rien et que c’est dangereux pour l’environnement. En revanche, la désinfection du mobilier urbain comme les bancs, les abribus, est utile et nous le faisons. A Paris, tous les jours, ce sont 400 km de trottoirs et 200 km de chaussée qui sont aspirés par des machines et lavés à l’eau sous pression.

Je ne vois pas comment on pourrait effacer le premier tour des municipales

Faut-il reporter le deuxième tour des municipales à l’automne? Annuler le premier?
Je ne vois pas comment on pourrait effacer le premier tour. Seuls les impératifs de santé publique doivent déterminer la date du second. Mais les rendez-vous démocratiques doivent pouvoir se tenir.

Les nombreux Parisiens qui ont quitté la ville pour se confiner dans leur maison de campagne ont été très critiqués. Ont-ils bien fait?
La plupart des Parisiens, y compris de naissance, ont des liens en province. Beaucoup sont partis rejoindre leur famille. Je ne vais pas le leur reprocher. Je trouve que ce bashing systématique des Parisiens est assez insupportable. Ils ne méritent pas cette stigmatisation. C’est quand même très dur d’avoir à supporter un confinement quand on vit dans un petit appartement sans balcon, parfois même sans beaucoup de lumière du jour. Beaucoup d’enfants ne sont pas sortis de chez eux depuis plus de quatre semaines, j’ai d’autant plus envie de leur dire merci!

Etes-vous favorable au tracking?
Il faut être très vigilant sur le respect des libertés individuelles. Il existe d’autres façons de lutter contre l’épidémie, sans avoir à collecter des données personnelles dont on ne sait pas par qui elle seront captées ou achetées. Les masques et les tests, voilà notre priorité!