Depuis vendredi et dans le sillage d’Edouard Philippe, les ténors de l’aile droite de la majorité se succèdent au micro pour expliquer que la dure crise économique provoquée par l’épidémie demandera des «efforts» au pays.

On l’a senti profondément agacé, Edouard Philippe, lorsque ce 2 avril, sur TF1, on lui fait remarquer que l’«argent magique» existe bel et bien lorsqu’il s’agit de contenir un incendie économique de la taille de celui provoqué par la crise du Covid-19 : déjà 100 milliards d’euros budgétés par le gouvernement pour financer le chômage partiel, les aides aux grandes et petites entreprises et les reports d’impôts et de cotisations sociales.

«Quoi qu’il en coûte», avait en même temps répété Emmanuel Macron dès le 12 mars dans sa première intervention télévisée. Mais cet «argent», a riposté le Premier ministre en duplex depuis Matignon ce soir-là, «n’est pas plus magique qu’il ne l’était il y a deux ans» lorsque le chef de l’Etat avait utilisé l’expression pour répondre à une aide-soignante qui, au cours d’une visite présidentielle au CHU de Rouen lui demandait plus de moyens.

Sur TF1, le chef du gouvernement a rappelé comment la France va payer ces sommes : «Ce sont des emprunts que la France va consentir.» Selon le projet de loi de finances rectificatives qui doit être adopté en Conseil de ministres ce mercredi, la dette publique atteindra 112 % en 2020. Un record. Mais que faire une fois la crise sanitaire passée et le paysage économique et social stabilisé?

On a du mal à croire que ce Premier ministre issu de la droite dont le «sérieux budgétaire» était un attribut, ne pense pas, déjà, aux remèdes devant permettre de réduire cette dette qui, sous ce quinquennat, n’aurait jamais dû dépasser la barre des 100 %.

«Un effort considérable»
«Il faudra un effort considérable», a simplement lâché Philippe sans préciser si cet «effort» serait lié aux futurs milliards des plans de relance français et européen ou bien lié au remboursement de cette future dette française. Tout juste a-t-il assuré, que «cela ne passera pas, je pense, par une augmentation des impôts».

Par quoi alors ? Pour l’instant, dans l’entourage du Premier ministre, on botte trop facilement en touche. «On ne parle pas de l’après à Matignon. Ces débats ne sont pas pour nous à ce stade», répond-on. Tout juste explique-t-on (tout de même) qu’Edouard Philippe a déjà «demandé a ce qu’il y ait une équipe interministérielle qui commence à travailler sur l’après». «C’est un travail de préparation, de début de réflexion sur où en sera la France», ajoute-on.

Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, et Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, lors d’une conférence de presse le 18 mars. Photo Ludovic Marin. Reuters
Pour l’instant, les deux argentiers du gouvernement, Bruno Le Maire (Economie et Finances) et Gérald Darmanin (Action et Comptes publics) se gardent bien, eux aussi, de dire qui paiera (et comment) la facture de cette crise hors norme. Le premier a simplement affirmé vendredi qu’«à la sortie de cette crise il faudra faire des efforts». «Le redressement sera long et il passera par le désendettement du pays», insisté Le Maire.

En revanche, sa secrétaire d’Etat, Agnès Pannier-Runacher, est allée plus loin dans le «comment» en affirmant samedi qu’«il faudra probablement travailler plus que nous ne l’avons fait avant. Il faudra mettre les bouchées doubles pour créer de la richesse collective».

Une sortie gouvernementale dans la droite ligne de celle du patron du Medef. «Il faudra bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire», a déclaré Geoffroy Roux de Bézieux ce week-end dans une interview au Figaro.

La gauche dénonce de «vieilles recettes»
Ces déclarations gouvernementales destinées à préparer l’opinion au retour de la rigueur n’ont pas manqué de déclencher un début de polémique à gauche. «Sur le plan de la récession économique qui s’annonce je ne vois strictement rien venir, que les vieilles recettes.

On a entendu le ministre Bruno Le Maire nous expliquer qu’il allait falloir relancer la machine avec cet objectif de croissance, travailler plus, mettre en pièces le code du travail», a réagi la députée insoumise Clémentine Autain dimanche matin sur France Inter. Avant de dénoncer «ces recettes néolibérales qui nous mettent dans le mur pour affronter aujourd’hui le virus», et d’estimer que «cette crise doit être l’occasion de repenser intégralement notre modèle de développement».

De son côté, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a taclé dans la foulée sur France Info le fait d’«utiliser une crise sanitaire mondiale pour expliquer que ça va être l’occasion de rogner sur les droits des salariés».
De fait, un mois près le «quoi qu’il en coûte» lancé par Macron, c’est ce qui s’appelle une contre-offensive du camp libéral. Et s’ils ne l’expriment pas (encore) de peur de passer pour des «conservateurs», ils sont quelques-uns dans la majorité à vouloir tempérer les ardeurs de certains de leurs camarades qui voient dans «l’après» et les «ruptures» promises par le chef de l’Etat les promesses d’un tournant social tant attendu. «L’argent ne sort pas de cachettes secrètes, fait valoir un cadre du groupe LREM.

On est dans le dur de la crise, donc c’est compliqué d’en parler et on se doit, dans la majorité, de garder une dynamique d’unité. Mais il ne faut pas être naïf : ce n’est pas parce que le Président dit “quoi qu’il en coûte” que ça n’a pas de coût ! Il faudra trouver des moyens et des financements. Or si on demande un effort aux Français, il va falloir être clair sur les échéances.» A fortiori à deux ans seulement de la prochaine présidentielle.

Abandonner la réforme des retraites ?
«Pour l’instant, on est dans un financement exclusif par la dette et c’est tant mieux, les taux d’intérêts sont au plus bas et il n’y a pas d’autres choix pour sauver notre tissu économique, fait valoir Roland Lescure, président LREM de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée. Ensuite, la meilleure manière de résorber la dette est d’avoir soit de la croissance, soit de l’inflation ou bien encore de faire “monétiser” cette dette par la Banque centrale européenne. Il y aura des arbitrages à faire mais on n’en est pas encore là.» Même sentiment chez le nouveau rapporteur général du budget, Laurent Saint-Martin, pour qui l’UE n’aura d’autre choix que d’accepter de «reprendre une partie des déficits».

Et pour relancer l’activité et donc créer de la croissance, le député LREM du Val-de-Marne a déjà une piste pour la suite : s’attaquer aux «impôts de production». Ce que le Medef et Bercy, avant la crise, souhaitaient déjà. «Ça a grévé la capacité de nos entreprises à produire chez nous et on a laissé les entreprises délocaliser», estime Saint-Martin. Une politique de l’offre en droite ligne avec ce qui était proposé par Emmanuel Macron depuis 2017 avant la crise des gilets jaunes et les dizaines de milliards consentis en direction des ménages (hausse de la prime d’activité, baisse de l’impôt sur le revenu…).

Baisser les «charges» d’un côté et «travailler davantage» de l’autre pour retrouver la croissance ? La formule ne serait guère en «rupture» avec les politiques passées mais elle risque de trouver des relais dans la majorité lorsqu’il s’agira d’expliquer qu’il faut «reconstruire» le pays. «Mais les responsables de cette majorité qui viennent de la droite ont tout de même conscience que si on veut demander des efforts aux Français, il ne faut pas commencer à fracturer le pays sur des sujets comme les retraites ou les 35 heures», souligne un conseiller ministériel.

D’où cette recherche, d’abord, d’un «pacte républicain» qui pourrait commencer, comme l’a suggéré le patron des députés LREM dans le JDD, par l’abandon de la réforme des retraites. Accepter, aujourd’hui, de reculer sur un sujet auquel la majorité des Français était opposée, pour tenter, après-demain, d’être suivi dans ses demandes de «travailler plus».