Quatre morts et un pays en flammes. Depuis l’arrestation jeudi du député Ousmane Sonko, dernier opposant au président Macky Sall, accusé de viol et cueilli par les forces de l’ordre alors qu’il se rendait à une convocation du juge, le Sénégal est le théâtre de manifestations violentes, de saccages et de pillages. Une escalade de la violence encore jamais atteinte à Dakar, la capitale de ce pays considéré comme un îlot de sécurité au cœur d’un Sahel troublé.
Peu après l’arrestation du député Ousmane Sonko, arrivé en troisième position lors de la dernière élection présidentielle et pressenti comme le principal concurrent au président Macky Sall pour la prochaine, en 2024, les premiers heurts ont éclaté à l’université Cheikh Anta Diop, située non loin du centre-ville de la capitale Sénégalaise. Le jour même, un jeune homme de vingt ans perdait la vie dans des manifestations à Bignona, en Casamance.
Bataille rangée
Mais les manifestations ont atteint leur apogée vendredi. Alors que la radio télévision sénégalaise diffusait des pièces de théâtre et des chansons, sans dire un mot sur les affrontements entre la police et les citoyens, une bataille rangée se jouait dans les rues d’ordinaire si calmes de Dakar. Un impressionnant dispositif policier était déployé aux abords du palais présidentiel, barricadant l’accès au centre-ville et protégeant les lieux de pouvoir.
Selon les autorités sénégalaises, quatre décès de manifestants ont été comptabilisés à Dakar et en Casamance. La photographie d’un membre du GIGN à la main arrachée figurait, quant à elle, en une du quotidien sénégalais l’Obs.
Au cours des trois derniers jours, de nombreuses enseignes françaises ont été pillées puis brûlées. Les stations Total, les boutiques Orange et 14 magasins Auchan, symboles de la présence française au Sénégal, ont fait l’objet de la vindicte des manifestants. Certains d’entre eux sont repartis avec des chariots remplis de nourriture et se battaient pour des yaourts dans les rayons en flammes. Des scènes de guérilla urbaine faisaient suffoquer la capitale sous un nuage de lacrymogènes et de fumées de pneus brûlés. Des manifestants ont également saccagé les locaux de l’Obs, de la RFM et de la TFM, trois médias considérés comme étant proches du pouvoir.
«Forces occultes» et «grand banditisme»
Ces évènements ne peuvent être uniquement décrits que comme des manifestations en soutien au député Ousmane Sonko. Car la colère des manifestants prend racine dans les frustrations d’une population durement éprouvée par une double crise économique et sociale.
Dans une allocution télévisée diffusée hier soir, le ministre de l’intérieur, Antoine Félix Dione, s’est adressé à la nation en fustigeant les «forces occultes», le «grand banditisme» et le «terrorisme» dans les rangs des manifestants. Selon de nombreux observateurs, la substance de son discours variait considérablement selon qu’il soit prononcé en français ou en wolof.
Amnesty International a rapporté, dans un communiqué, la présence d’hommes en tenue civile armés de gourdins, descendant de pick-up aux côtés des forces de sécurité. «Ces hommes ont pourchassé des manifestants et frappé ceux qu’ils arrêtaient, devant les forces de sécurité, dans nombre de ces cas», a précisé Amnesty, qui s’inquiète également des nombreuses arrestations arbitraires et atteintes à la liberté d’informer constatées au cours de ces trois derniers jours.
Internet limité
Car depuis jeudi soir, deux chaînes de télévision privées ont subi une coupure de signal après avoir diffusé les images des heurts. Selon l’autorité de régulation télévisuelle, elles sont coupables d’avoir fait «explicitement ou implicitement l’apologie de la violence».
A cela s’ajoutent des restrictions de l’usage d’internet. Selon Netblocks, les réseaux sociaux et applications de messagerie ont été partiellement coupées au Sénégal, entraînant la colère et l’incompréhension des internautes.
Autant de signaux inquiétants pour la démocratie au Sénégal, pays souvent érigé en exemple démocratique face à ses voisins sahéliens. A plusieurs reprises, les ambassades européennes ont exhorté leurs ressortissants à rester chez eux et à ne se déplacer qu’en cas d’urgence. D’autres manifestations violentes sont attendues au cours du week-end. Ousmane Sonko, quant à lui, a été maintenu en garde à vue et devrait être entendu par le juge d’instruction le 8 mars.