Jeudi 11 mai, l’industrie du rap français était réunie au cœur de la capitale pour la première édition des Flammes, une cérémonie dédiée à ce genre musical, devenu, au fil des années, le plus populaire du pays.

Devant le théâtre du Châtelet un large périmètre de sécurité bloque le carrefour, sous surveillance policière. Au centre, un attroupement de plusieurs centaines de personnes où les smokings noirs côtoient les tenues les plus excentriques.

“Pour un évènement rap les gens sont hyper habillés !” s’étonne un fan venu assister au spectacle.

Au programme : 21 remises de prix, 14 prestations live d’artistes parmi les plus en vue de la scène actuelle, comme les rappeurs français Gazo et Dinos, la star belge Damso ou l’artiste congolais Fally Ipupa, avec en prime la participation de nombreux invités dont l’humouriste Fary et la chanteuse Christine and the Queens.

 

Ce projet, ambitieux, dont l’industrie du rap rêve depuis de nombreuses années, a été rendu possible par l’association de deux piliers du secteur : le media Booska-p et l’agence Yard. Pour ses organisateurs, les Flammes répondent à un double enjeu : célébrer le succès de l’industrie du rap, désormais assez puissante pour organiser un tel événement, mais également combler un manque, face aux Victoires de la Musique, où ce genre musical peine à trouver sa place.

Cérémonie allternative

Quatre jours de préparations intensives ont été nécessaires pour roder ce grand show à l’américaine. Mardi, au théâtre de Chatelet, une armée de techniciens s’activent déjà pour mener les phases de tests, avant les répétitions des artistes.

Une multitude de détails restent alors à régler avant la date fatidique. Mais pas de quoi inquiéter Amadou Ba dit Hamad, coproducteur de l’événement. Silhouette longiligne, sweat à capuche et casquette vissée sur la tête, l’homme de 40 ans serre des mains et glisse un petit mot d’encouragement à chaque membre de l’équipe.

“Tous les feux sont au vert” se réjouit-il. “Cette cérémonie est une grande fête pour notre culture, pour les gens qui la suivent et ceux qui la font. J’ai hâte de pouvoir en mesurer l’impact” souligne-t-il, sourire au coin des lèvres.

L’idée de cet évènement dédié au rap a germé il y a trois ans, lors d’une discussion entre cet entrepreneur à la tête du site Booska-p, media de référence dans son domaine, et les dirigeants de l’agence de communication Yard, autre poids lourd du secteur, spécialisé dans les partenariats avec les marques. Très vites de nombreux sponsors se sont associés au projet et notamment le géant du streaming Spotify, devenu partenaire principal.

“Depuis des années les Victoires de la musique sont critiquées sur les réseaux sociaux par la public rap, qui trouve que notre musique est trop peu représentée ou mise dans les mauvaises cases. Nous avons donc décidé de créer une cérémonie qui nous ressemble et qui représente notre culture” explique Hamad.

 

Longtemps, les Victoires de la musique ont cantonné le rap à des catégories fourre-tout sous l’intitulé “musique urbaine” ou “rap /groove”, finalement supprimées, il y a trois ans.

Depuis 2021, la cérémonie récompense les artistes les plus streamés sur les plateformes musicales. Ces prix, remportés à trois reprises par des rappeurs, suscitent de vives critiques dans le milieu ; perçus comme une manière d’acter le succès commercial des projets en leur niant toute qualité artistique.

“On ne peut pas continuer à ignorer autant d’artistes, plébiscités par autant de monde, ce n’est jute pas possible” s’insurge Antoine Laurent, directeur éditorial des Flammes. Cette nouvelle cérémonie “est un enjeu politique. Il s’agit de dire à tous ces artistes : vous êtes des portes drapeaux de la culture francophone. En 2023, c’est une réalité indéniable”.

La “révolution” du streaming

Pour les professionnels de l’industrie comme les auditeurs, cette première édition des Flammes incarne une forme de consécration pour le rap, qui connait depuis quelques années un véritable âge d’or commercial.

“Avant 2015, on était encore dans la crise du disque ; seule quelques têtes d’affiche vivaient de leur musique” rappelle Hamad. “C’était particulièrement difficile pour notre industrie car le public rap est un public jeune, très actif sur Internet, et donc qui téléchargeait beaucoup illégalement. L’arrivée du streaming en 2015 et la généralisation des abonnements payants a été pour nous une véritable révolution”.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, le top 5 des artistes les plus écoutés en France est composé uniquement de rappeurs (Jul, Ninho, OrelSan, PNL et Lomepal). Sept albums de rap figurent également parmi les 10 albums les plus vendus de l’année.

Cet engouement se vérifie également en concert avec un taux de remplissage extrêmement rapide pour de nombreux artistes, y compris dans de grandes salles comme l’Accord Arena, à Paris Bercy, où se sont succédé l’année dernière Laylow, Orelsan, PNL, Vald, Rohff, Niska, Roméo Elvis ou bien encore Kalash.

Artistiquement aussi, le secteur est en plein boom. La démocratisation de l’autotune, logiciel de correcteur de notes, permet aux artistes de mélanger rap et chant, repoussant ainsi les frontières du genre.

Pour les organisateurs des Flammes, l’un des défis était de représenter cette diversité grandissante, en ajoutant des catégories plus larges telles que nouvelles pop, R&B, inspiration Afro ou bien Caribéenne, tout en rassemblant ces différents courants derrière une bannière commune.

“Dès le départ, nous avons décidé de nous affranchir de la notion de musique urbaine” souligne Antoine Laurent. “Ce terme est trop souvent utilisé de manière péjorative et réductrice pour qualifier ce qui est fait par les noirs et les arabes dans les cités de France. Nous avons opté pour la ‘cérémonie des cultures populaires’, qui nous paraissait plus valorisant et permettait de représenter les différentes sensibilités de cette culture”.

Installer “une marque”

Jeudi soir, au théâtre du Chatelet, la fête bat son plein et les remises des prix s’enchainent. Parfait ambassadeur de l’ouverture musicale revendiquée par la cérémonie des Flammes, le jeune rappeur et chanteur Tiakola caracole en tête avec trois victoires, dans les catégories nouvelle pop, R&B et Afro.

Les prix des meilleurs artistes féminins et masculins sont attribués à la chanteuse Aya Nakamura et au rappeur Gazo, qui remporte également le prix Spotify pour son album KMT. Le meilleur album rap est attribué à Dinos pour son album concept “Hiver à Paris”.

La fin de la cérémonie est marquée par un long medley des deux grands vainqueurs de la soirée Tiakola et Gazo, sous les applaudissements du public. Pour leur première édition, les organisateurs des Flammes semblent avoir remporté leur pari.

Mais pour Hamad ce qui s’apparente à une victoire n’est qu’une étape. “Cet évènement est un aboutissement mais on l’imagine aussi comme une marque qui va perdurer. Nous sommes déjà sur la saison deux. Puis il y aura la trois, quatre, cinq… ».