Depuis quelques jours, le monde est en confinement. Face à l’augmentation des cas de coronavirus confirmés à travers le globe, de multiples gouvernements ont fait le choix de placer leur pays en quarantaine, espérant ainsi ralentir puis mettre un terme à l’épidémie. Un choix nécessaire qui a malheureusement eu comme conséquence de mettre en péril les économies. Parmi elles, l’industrie du textile, contrainte de voir son activité être mise à l’arrêt.
Les sites de production fortement impactés
En France, le confinement total a été prononcé le 17 mars dernier tandis que l’Italie a attaqué lundi sa cinquième semaine de quarantaine. En Espagne, le confinement a été ordonné le 14 mars dernier tandis qu’en Allemagne, dont le nombre de cas confirmés ne cesse d’augmenter, Angela Merkel a invité ses concitoyens à rester chez eux. Résultat : partout dans le monde, les boutiques ferment les unes après les autres, impactant inévitablement l’activité des usines et ateliers de production des marques de mode.
« Chanel a pris la décision, conformément aux dernières instructions du gouvernement, de fermer progressivement, pour deux semaines, tous ses sites de production en France, en Italie et en Suisse ainsi que ses ateliers de Haute Couture et de prêt-à-porter, d’artisanat et de joaillerie », expliquait la maison française dans un communiqué, publié jeudi 19 mars. Une annonce de taille, qui fait suite à la fermeture de toutes les boutiques de la griffe au double C en France et en Italie. Plus tôt la semaine dernière, la maison Hermès annonçait également la fermeture de tous ses sites de production en France, soit une quarantaine de manufactures et de tanneries, jusqu’à fin mars. Il y maintenant dix jours, la maison Gucci communiquait quant à elle sur la fermeture de ses sites de fabrication dans les régions italiennes de Toscane et des Marches pour au moins une semaine. Les griffes plus abordables ne sont pas moins impactées par le phénomène. Selon le média spécialisé « Sourcing Journal », les marques de fast fashion H&M, Zara, Mango et Primark ont également arrêté toute nouvelle production.
Le calendrier de la mode perturbé pour plusieurs saisons
Un phénomène inquiétant pour les entreprises, d’autant plus qu’il s’est installé en à peine quelques semaines. « Ce qui est problématique, c’est que nous découvrons les répercussions sur notre travail jour après jour, s’inquiète Marc Pradal, président de l’Union française des industries mode et habillement. Les boutiques sont de plus en plus nombreuses à annuler des commandes, de nombreuses marques enregistrent des baisses de chiffres d’affaires de 30 à 50%, plusieurs salons français et étrangers ont été annulés ou reportés et d’autres événements pourraient encore être perturbés ».
C’est notamment le cas de la Fashion Week Haute Couture parisienne, prévue du 5 au 9 juillet prochain. Pas encore concernée par ces changements de calendrier, de nombreux acteurs du milieu s’inquiètent néanmoins de voir l’événement annulé. Rappelons que, début mars, alors que le Covid-19 sévissait déjà en Italie, la majorité des maisons avaient maintenu leurs défilés Croisière. Elles ont depuis été contraintes de les reporter à une date ultérieure. De la même façon, la semaine de la mode Haute Couture pourrait bien être reportée au dernier moment.
Si les professionnels s’accordent à dire qu’il faudra plusieurs mois pour identifier avec précision les conséquences du coronavirus sur l’industrie, les estimations ne présagent néanmoins rien de bon. « On peut imaginer que jusque fin juin, tout sera très perturbé », estime Marc Pradal. De son côté, Pierre-François le Louet, président de la fédération du prêt-à-porter féminin, affirme que son impact sera mesuré sur trois saisons. « On sait déjà que la saison en cours, celle du printemps-été 2020, ne sera pas bonne, étant donné que toutes les boutiques sont fermées, explique-t-il. Les commandes pour la saison automne-hiver 2020-2021 sont terminées. Elles ont lieu traditionnellement juste après la Fashion Week de Paris, qui a eu lieu au début du mois. Le problème, c’est que beaucoup d’acheteurs asiatiques n’avaient pas pu faire le déplacement. Et puis maintenant il y a des craintes pour les pré-collections printemps-été, qui sont normalement présentées à partir du mois de mai. Les usines étant fermées et les modélistes et stylistes étant en télé travail, il y a de vraies incertitudes sur la faisabilité de ces collections ».
Faut-il s’attendre à des boutiques vides dans les mois à venir ? « Pas pour la saison printemps-été, assure Pierre-François le Louet. Ce qui nous inquiète, c’est la livraison du début des collections automne-hiver, qui arrivent généralement en boutique en juin. Dans le contexte actuel, cela paraît impossible. Les livraisons seront décalées de plusieurs mois ». Autre problème : les soldes d’été, qui devaient débuter le 24 juin prochain. « Les marques n’auront peut-être eu que quelques semaines pour présenter leurs collections. Faut-il décaler la date de début des soldes ou commencer à destocker dès maintenant ? », s’interroge le président de la fédération du prêt-à-porter féminin.
Une crise qui en entraîne une autre ?
Une situation catastrophique donc, qui interroge aussi quant aux habitudes de production de l’industrie. Au début de l’épidémie, lorsque celle-ci ne concernait alors que la Chine, « certaines entreprises françaises ont essuyé des retards importants », explique Marc Pradal. La raison ? L’arrêt des usines de production chinoises, particulièrement présentes dans la province de Hubei, région placée en quarantaine depuis fin janvier.
Une dépendance que regrette le président de l’Union française des industries mode et habillement. « J’espère qu’à terme, nous retiendrons des leçons de cet épisode dramatique. Il faut songer à repenser les filières, à relocaliser certaines usines et aspects de la production en France ou au moins en Europe, afin de rapprocher les circuits, explique-t-il. Il ne faut plus attendre l’arrivée d’une crise pour traiter les problématiques liées à notre industrie. Nous connaissons les risques liés à la question climatique. Il est temps de se pencher sérieusement sur le sujet d’une mode durable ».
Les usines de production misent à profit de la lutte contre le coronavirus
Au chômage technique, les usines de production ? Pas totalement. Dimanche 15 mars, LVMH annonçait dans un communiqué officiel mettre à profit les usines de production de trois de ses marques (Dior, Guerlain et Parfums Givenchy) afin de produire du gel hydroalcoolique pour les hôpitaux français. Le groupe de luxe a promis d’en fabriquer douze tonnes dès la première semaine et davantage par la suite. Samedi 21 mars, elle annonçait passer à l’étape supérieure en promettant 10 millions de masques aux hôpitaux français d’ici ce mercredi. 30 millions de masques supplémentaires devraient être acheminés dans les quatre semaines à venir, a annoncé le groupe.
De son côté, Kering a annoncé dans un communiqué publié ce dimanche 22 mars que les ateliers de production des maisons Balenciaga et Saint Laurent seraient dorénavant dédiés à la fabrication de masques. Le groupe de luxe français doit remettre aux hôpitaux dans les prochains jours trois millions de masques chirurgicaux venus de Chine.
La maison Gucci a quant à elle répondu à l’appel lancé par la région Toscane pour fournir des masques chirurgicaux et blouses médicales pour le personnel soignant. Elle annonce être en mesure de fournir 1 100 000 masques et 55 000 blouses dans les semaines à venir.
Ce 23 mars, la maison Prada affirmait quant à elle travailler sur la fabrication de 110 000 masques à destination des hôpitaux de Toscane, région particulièrement frappée par l’épidémie.
Le groupe Inditex (propriétaire de Zara, Pull & Bear, Massimo Dutti…) a quant à lui mis ses usines de production à disposition du gouvernement espagnol pour fabriquer le matériel nécessaire au bon fonctionnement des hôpitaux du pays. Si l’entreprise a déjà livré 10 000 masques en à peine une semaine, elle compte également subvenir au manque de gants, couvre-chaussures et autres protecteurs faciaux.
Le géant suédois H&M a également annoncé mettre sa chaîne d’approvisionnement au service de la production d’équipements de protection individuelle, qui seront fournis aux hôpitaux et au personnel du secteur de la santé.
Si l’avenir de l’industrie reste incertain, cette crise aura prouvé que les groupes et marques de mode sont bien plus que des simples fabriquant de vêtements, mais de réels acteurs de la société.