Alors que l’Académie de médecine préconise le port d’une protection pour l’ensemble de la population, le gouvernement revoit peu à peu sa stratégie.

Pas un revirement donc, mais une «réévaluation de la doctrine», assure Olivier Véran, ministre de la Santé. Chacun en pensera ce qu’il veut, toujours est-il que l’idée d’inciter le grand public à porter un masque pour lutter contre la propagation du Covid-19 fait peu à peu son chemin. Interrogé samedi sur cette possible inflexion, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a fait un (petit) pas en ce sens lors de son point quotidien: «Nous apprenons chaque jour avec ce nouveau virus. Peut-être qu’un jour nous proposerons à tout le monde de porter une protection. Mais on n’en est pas là. Tout ça se discute avec les experts. (…) On adapte notre position.»Ce changement de stratégie, qui ne dit pas encore tout à fait son nom, ne vient pas de nulle part.

De nombreux pays européens imposent désormais le port du masque pour tous dans l’espace public, et les États-Unis ont clairement fait volte-face vendredi: le gouvernement exhorte désormais les Américains à se couvrir le visage afin d’endiguer la propagation du nouveau coronavirus, s’alignant sur les nouvelles recommandations des Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC) américains, qui insistent notamment sur la nécessité de se protéger quand on fait ses courses.

En France, l’Académie nationale de médecine a enfoncé le clou vendredi dernier: puisqu’«il est établi que des personnes en période d’incubation ou en état de portage asymptomatique excrètent le virus et entretiennent la transmission de l’infection, (…) le port généralisé d’un masque par la population constituerait une addition logique aux mesures barrières actuellement en vigueur».

Le masque comme rempart «antipostillons», donc, comme le préconisent déjà de nombreux médecins. L’académie ajoute qu’au regard de la pénurie en cours, «force est de recourir, actuellement et en vue de la sortie du confinement, à l’utilisation d’un masque (…) “alternatif”».

Pas besoin de remonter bien loin pour se rendre compte qu’au sein de l’exécutif, le message a évolué. La semaine dernière encore, le premier ministre Édouard Philippe exprimait son scepticisme face à la stratégie du masque pour tous: «On nous a beaucoup critiqués sur ces éléments, mais je me permets de citer le docteur Mike Ryan, qui est directeur exécutif de l’OMS pour les programmes d’urgence. Le 30 mars (…) il dit qu’il n’y a pas de preuve que le port du masque dans la population apporterait un bénéfice.»

Une doctrine assumée dès le début de la crise par Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, et répétée inlassablement depuis. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, déclarait même le 20 mars dernier sur BFMTV: «Les masques ne sont pas nécessaires pour tout le monde. Et vous savez quoi, moi je ne sais pas utiliser un masque (…). Ce sont des gestes techniques, précis, sinon (…) ça peut même être contre-productif.» À croire que la stratégie nationale repose en grande partie sur la présomption que les Français sont incapables d’apprendre à se servir d’un masque.

«Difficultés logistiques»

On l’aura toutefois compris: cette doctrine visait à éviter une ruée vers les pharmacies pour préserver les stocks pour ceux qui en ont besoin en priorité, les soignants, au moment où le gouvernement reconnaissait des «difficultés logistiques» à leur en fournir. Aujourd’hui, il met les bouchées doubles pour importer plus de deux milliards de masques sanitaires, mais aussi pour démultiplier la production nationale afin de pouvoir équiper d’autres professions.

La fabrication de deux nouvelles catégories de masques alternatifs destinées pour l’instant «aux personnes en deuxième ligne» (policiers, gendarmes, caissières…), a ainsi été autorisée le 31 mars.
Si la ligne évolue, il est un message que Jérôme Salomon ne cessera de répéter: «Les masques alternatifs peuvent être un complément mais ne doivent surtout pas induire un sentiment de fausse sécurité» qui entraînerait l’abandon des gestes barrières.