Officiellement consacrée à la lutte pour les droits des femmes, la journée du 8 mars est parfois mal comprise, notamment par ceux qui souhaitent une « joyeuse fête de la femme », une rose rouge ou une boîte de chocolats à la main.
Il arrive aussi que certaines personnes remettent en cause la pertinence et le bien-fondé de cette journée, en affirmant par exemple qu’« en France, l’égalité professionnelle est acquise », ou en réclamant « une Journée internationale des droits des hommes ». Voici quelques arguments et chiffres à opposer à ces affirmations.
« Joyeuse fête de la femme ! »
Instituée en 1977 par l’Organisation des Nations unies (ONU), la « Journée internationale des femmes » est célébrée dans de nombreux pays le 8 mars. Une appellation également utilisée par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) ou la Commission européenne. En 1982, Yvette Roudy, alors ministre déléguée aux droits de la femme, amène la France à reconnaître le 8 mars comme « Journée internationale des droits des femmes ».
« Le 8 mars n’est pas la Journée internationale de la femme, celle où on offre des soutiens-gorge »
Mais tous les ans, certaines personnes parlent de « fête de la femme ». Avec, en prime, les sempiternelles opérations marketing et sexistes vantant vernis à ongles, « chocolats réservés aux femmes » ou bouquets de fleurs.
Or, cette journée a été créée dans une perspective militante. Elle est l’occasion de réaffirmer l’importance de la lutte pour les droits des femmes et de rendre hommage aux combats, passés et présents, menés en faveur de l’égalité femmes-hommes. « Le 8 mars n’est pas la Journée internationale de la femme, celle où on offre des soutiens-gorge, mais la Journée internationale des droits des femmes. Le droit de ne pas mourir sous les coups de son conjoint par exemple », rappelait en 2019 le collectif féministe #Noustoutes.
Il ne s’agit donc ni d’une Saint-Valentin bis, ni d’une journée visant à célébrer « la femme » – le singulier mettant en avant une « essence féminine », comme s’il n’existait qu’une seule façon d’être une femme ou qu’un seul modèle de féminité. « “La” femme n’existe pas. Nous sommes des millions », résume la militante féministe Caroline De Haas.
« En France, l’égalité professionnelle est acquise »
« A travail de valeur égale, salaire égal. » Ce principe est inscrit dans le code du travail français depuis 1972. Pourtant, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), dont les chiffres les plus récents ne prennent en compte que le secteur privé, les femmes gagnent en moyenne 16,8 % de moins que les hommes en équivalent temps plein, c’est-à-dire pour un même volume de travail.
A cela s’ajoutent des inégalités de volume de travail, les femmes étant bien plus souvent à temps partiel et moins souvent actives professionnellement dans l’année que les hommes. Lorsque l’on tient compte de l’ensemble de ces facteurs, elles perçoivent en moyenne une rémunération inférieure de 28,5 % à celle des hommes.
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En outre, si elles sont désormais plus diplômées que les hommes, les femmes restent moins nombreuses aux postes de direction. Le plafond de verre est toujours une réalité très forte en entreprise. Certes, il y a du mieux du côté des conseils d’administration, depuis que la loi Copé-Zimmermann (2011) y impose un quota de 40 % de femmes. Mais elles ne sont guère plus de 20 % au sein des comités exécutifs, tandis que 37 % des entreprises comptent toujours moins de deux femmes au rang des dix plus hautes rémunérations et qu’un seul groupe du CAC 40, Engie, est dirigé par une femme, Catherine MacGregor.
« Aujourd’hui, les femmes ont accès à tous les métiers »
C’est vrai, mais dans quelles proportions ? Les femmes restent sous-représentées dans certaines professions même si, en théorie, rien ne leur en interdit l’accès. C’est le cas, par exemple, dans les métiers du vin, dans le secteur de l’informatique et plus largement dans les filières scientifiques.
Alors que la France se place au premier rang pour le niveau d’éducation des filles, selon le rapport 2017 du Forum économique mondial, les étudiantes ne sont que 27 % en formations d’ingénieurs. Un paradoxe qui s’explique largement par les stéréotypes genrés. Au bout du compte, les femmes sont orientées vers des professions dites féminines et se trouvent privées d’accès à des carrières à responsabilités, mieux rémunérées ou valorisées.
En politique, lieu de pouvoir par excellence, malgré la loi sur la parité de juin 2000, le compte n’y est toujours pas. Les femmes ne sont que 35 % au Sénat et 41 % à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, 80 % des mairies sont dirigées par un homme. Edith Cresson est la seule femme à avoir été première ministre et son mandat aura été le plus court sous la Ve République.
« Les hommes aussi font la vaisselle »
En moyenne, les Françaises consacrent 3 h 26 par jour aux tâches domestiques (ménage, courses, soins aux enfants, etc.) contre 2 heures pour les hommes, selon l’Insee. Si cet écart tend à se réduire au fil du temps, les progrès sont très lents. « Au rythme actuel, il faudrait des décennies pour arriver à l’équilibre en termes de partage des tâches domestiques entre hommes et femmes au sein du couple », souligne l’Insee.
A cela s’ajoute la « charge mentale » ménagère. Ce concept, développé en 1984 par la sociologue Monique Haicault, désigne le temps consacré – dans l’immense majorité des cas par les femmes – à organiser les travaux ménagers et la vie du foyer. C’est le fait, par exemple, d’avoir à demander à son compagnon d’étendre le linge. Or, avoir à gérer ces mille et une petites tâches finit par peser considérablement sur le mental. En mai 2017, la blogueuse Emma a contribué à populariser ce terme via une bande dessinée publiée sur Facebook et partagée plusieurs centaines de milliers de fois.
« En France, les femmes ne sont pas à plaindre par rapport à plein d’autres pays »
En matière d’égalité des genres, la France se classe 15e sur 153 pays, d’après le rapport 2020 du Forum économique mondial. Une place moins bonne qu’en 2018, quand l’Hexagone était 12e. Par ailleurs, elle fait mieux que la plupart des pays, mais la situation des femmes est loin d’y être parfaite.
En 2019, 146 ont été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon ; et selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité », lors de chaque année de la période 2011-2018, 62 000 ont été victimes de viol. D’après une étude de l’IFOP publiée en 2018, près d’une femme sur trois (32 %) a déjà été confrontée à au moins une situation de harcèlement sexuel sur son lieu de travail.
De plus, la position de la France en matière d’égalité femmes-hommes ne doit pas faire oublier que le 8 mars est bien la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Elle est donc aussi l’occasion d’être solidaire des combats menés à l’étranger : le droit à l’avortement en Pologne (drastiquement limité en octobre 2020) ou au Honduras (interdit dans tous les cas de figure), par exemple.
« Il y a des combats plus importants à mener que l’écriture égalitaire ou la lutte contre la précarité menstruelle »
Alors que les combats entamés dans les années 1970 ne sont pas tous achevés, d’autres ont émergé au fil du temps : la lutte contre le harcèlement de rue ou contre la précarité menstruelle, l’utilisation de l’écriture égalitaire, le fait de s’affranchir de l’injonction à s’épiler, etc. Autant d’enjeux qui, selon certaines, ne feraient pas honneur aux grandes batailles menées par leurs aînées, voire qui seraient indignes du féminisme.
Autre argument invoqué : ces combats, jugés secondaires, détourneraient la société des « vrais » problèmes, comme les inégalités salariales ou les violences conjugales.
En s’attaquant à l’ensemble de ces thématiques, la nouvelle génération de militantes affirme à l’inverse haut et fort qu’il n’y a pas de petit combat féministe. Pour elles, ce n’est pas en hiérarchisant les discriminations qu’elles disparaîtront : tout contribue à la lutte contre le sexisme et le système de domination masculine.
« De toute façon, les féministes ne sont jamais d’accord entre elles… »
Prostitution, port du voile, gestation pour autrui (GPA)… Plusieurs thématiques font effectivement l’objet de débats passionnés entre féministes. Ce qu’on a coutume d’appeler « le » féminisme est en réalité multiple, pluriel. Il s’inscrit dans un ensemble de courants de pensée et de représentations intellectuelles. Ces désaccords – qu’ils soient philosophiques, politiques, militants ou stratégiques – ne sont pas récents.
Des désaccords inhérents aux débats d’idées
Surtout, ils sont tout simplement inhérents aux débats d’idées. Reprocherait-on à la classe politique d’être divisée sur de nombreux sujets ? Bien sûr que non. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir émerger des polémiques au sein d’un même parti. D’aucuns diraient que ces controverses, parfois très vives, permettent justement de mieux nourrir les réflexions. Il en va de même au sein des mouvements féministes.
« Et pourquoi pas une Journée internationale des droits des hommes alors ? »
En réalité, cette journée existe (le 19 novembre) depuis une vingtaine d’années, mais elle n’est pas reconnue par les Nations unies. La date a été choisie par Jerome Teelucksingh, professeur d’université à Trinité-et-Tobago, en hommage à son père, né un 19 novembre. Cependant, les objectifs de cette journée sont assez flous et elle reste peu connue.
Surtout, comme le soulignait une internaute, le 8 mars 2019, les hommes posent cette question – pourquoi il n’y a pas de Journée internationale des hommes ? – « uniquement le jour de la Journée internationale des femmes (…). Comme s’ils ne se souciaient pas de la Journée internationale des hommes, sauf pour la Journée internationale des femmes ».
La vraie question à se poser serait plutôt : pourquoi, en 2021, a-t-on encore besoin d’une Journée internationale des droits des femmes ? Tout simplement parce que les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits que les hommes dans un univers marqué par la dimension systémique du patriarcat sur la quasi-totalité du globe.