En ce premier jour de déconfinement, c’est un nouveau coup dur pour le monde de l’art qui voit s’assombrir la rentrée de septembre avec l’annulation de la Biennale Paris. Et cela ne présage rien de bon pour les autres salons qui devraient suivre. À commencer par Art Basel, la grande messe de l’art moderne et contemporain, déjà repoussée de juin à septembre dans la ville suisse…

Après les reports et les annulations en cascade du salon du dessin, Drawing now, Art Paris ou encore Art Brussels, la Biennale Paris en septembre s’annonçait comme l’un des premiers salons de la reprise culturelle et devait servir de test pour le marché de l’art. Sa 32e édition qui devait se tenir du 13 au 17 septembre au Grand Palais est reportée à des dates à définir en septembre 2021. La décision est tombée ce matin comme un couperet qui rend plus opaque encore l’avenir, mais a été applaudie à l’unanimité.

Trop optimiste et surtout dangereux
«Nous avons officialisé aujourd’hui la décision qui s’était imposée depuis quelques jours, au regard de la situation sanitaire incertaine liée à la pandémie du Covid-19», explique le cœur gros, son nouveau président Georges de Jonckheere. Mais il faut être réaliste. Depuis la Tefaf Maastricht où il y a eu de nombreux cas de Covid-19, ce qui a créé la polémique, les avis ont mûri avec le temps. Il paraît trop optimiste et surtout dangereux d’organiser un salon dans les conditions actuelles, poursuit-il. Et à trois mois et demi de l’ouverture, trop de frais allaient s’engager pour les exposants et les partenaires. Il fallait tout stopper. J’ai réuni le conseil qui m’a donné les pleins pouvoirs pour réaliser ce nouveau projet de Biennale et les membres ont voté à l’unanimité l’annulation».

Après son élection à la présidence de la Biennale Paris, ce spécialiste en peinture flamande, pilier de la Tefaf Maastricht et de la Biennale des antiquaires au temps de sa splendeur, avait pris sa mission à bras le corps. Premier à admettre que la manifestation «avait touché le fond», depuis la démission retentissante en 2015 de Christian Deydier du Syndicat national des antiquaires (SNA), il avait «la ferme intention de la faire renaîre de ses cendres». Dès lors qu’il avait eu les pleins pouvoirs, il avait immédiatement procédé à une remise à plat complète de la Biennale, en changeant notamment tous ses opérateurs, à l’exception de l’agence néerlandaise Stabilo pour la scénographie.

À la Tefaf Maastricht début mars, alors que personne n’avait pas encore réalisé que la pandémie allait mettre le monde à l’arrêt et plus durement encore celui de la culture, ce dynamique et charismatique marchand était plus que confiant. Il voulait faire de la Biennale une manifestation à la hauteur de Paris, en persuadant les plus grands marchands de revenir. «Je pense y être parvenu en recréant un socle solidaire, amical, pour faire une Biennale de dimension internationale. Ce n’était plus seulement une aventure mercantile mais une ambition commune de professionnels qui aiment notre capitale et veulent défendre sa place avec une vraie vision», explique encore Georges de Jonckheere.

Tout s’arrête net alors que le projet d’une Biennale nouvelle était déjà bien avancé. Les emplacements commençaient à être distribués dont 14 parmi les 16 centraux constituant le cœur stratégique d’un évènement comme celui-là. Les contrats étaient prêts à être envoyés. Mais la possibilité avait été donnée aux exposants de ne pas payer d’acompte pour éviter les complications de remboursements pouvant entraîner des conflits comme c’est le cas avec Art Paris reportée puis définitivement annulée.

La Biennale Paris, conjointement avec le Syndicat national des antiquaires, avait en effet mis en place une série de mesures exceptionnelles à destination des marchands pour son édition 2020, pour préserver au mieux leurs intérêts. Un communiqué leur avait été envoyé en ce sens, dès le 1er avril: «Prenant en compte le contexte sanitaire, économique et social difficile, La Biennale Paris propose aux exposants qui le souhaitent d’échelonner le paiement de leurs frais de participation sur quatre mois après le déroulement du salon ; ainsi que d’exempter tous les marchands des efforts de trésorerie habituellement demandés en amont de La Biennale. Afin de financer cette mesure, La Biennale Paris s’appuiera sur le dispositif de garantie de l’Etat pour les prêts accordés aux entreprises impactées par la crise du COVID-19».

En 2021, la Biennale se tiendra au Champs de Mars
Pour l’heure, Georges de Jonckheere ne baisse pas les bras et continue de réfléchir à la refonte de la Biennale. «Je regrette qu’elle n’ait pas lieu cette année, mais du coup cela nous donne la possibilité de convaincre encore une demie douzaine de très grosses galeries de venir en 2021. Je veux compléter la liste des spécialistes reconnus par des gens de même qualité» observe-t-il.

Selon ce dernier, de nombreux marchands ont d’ores et déjà confirmé leur volonté de participer à sa 32e édition dont Ariadne Galleries (New-York, Londres), la Béraudière (Bruxelles, Genève), Brun Fine Art (Milan, Londres), Didier Claes (Bruxelles), Colnaghi (Londres, Madrid, New-York), la Galerie Yves Gastou (Paris), Jacques Lacoste (Paris), Laffanour – Galerie Downtown (Paris). Ou encore Yves Macaux (Bruxelles), kamel mennour (Paris, Londres); Mermoz (Paris), Neuse (Brême), Lucas Ratton (Paris); Rosenberg & Co (New-York), Sarti (Paris) et Steinitz (Paris). Sans oublier les joailliers Boghossian (Genève), Anna Hu (Taipei) et Vhernier (Milan).

Rendez-vous donc en 2021 mais cette fois ce ne sera plus sous la verrière du Grand Palais, en raison des travaux du bâtiment sur une durée de quatre ans. La Biennale se tiendra dans le Grand Palais Ephémère, structure conçue par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, en haut du Champs de Mars. Pour mener à bien sa refonte de l’évènement, Georges de Jonckheere avait pris conseil auprès de personnalités extérieures, comme le fondateur de Mazarine Paul-Emmanuel Reiffers ou le président de la Fondation Cartier pour l’art contemporain Alain-Dominique Perrin. Une équipe plutôt jeune constituée de François Laffanour, Marella Rossi Mosseri, Pierre-Edouard de Souzy et Oscar Graf l’avait rejoint.

Sans oublier le courtier en assurance Cyril Karaoglan chargé de présider le comité d’honneur de la Biennale et de faire venir des personalités au fameux dîner de gala censé retrouver ses fastes d’antan, en faisant revenir plus de 1 000 personnes. En 2021, les bénéfices iront – comme il était prévu pour cette édition 2020 – au profit de la «mission Bern» pour le patrimoine en péril. «Ce sera encore mieux l’année prochaine et cela laissera encore plus de temps pour reconstruire une belle Biennale» commente Stephane Bern. «Nous choisirons avec le comité, en temps et en heure, un lieu culturel en lien avec la Biennale et son histoire» ajoute l’animateur et journaliste qui avait été choisi par le gouvernement pour lancer le loto du patrimoine.