Depuis le début du mois de juin, l’affaire Traoré, du nom de ce jeune homme décédé dans le Val-d’Oise le 19 juillet 2016 près de deux heures après son interpellation par trois gendarmes, a resurgi sur le devant de la scène. En parallèle de l’enquête visant à éclaircir les circonstances de la mort du jeune homme, et à trois jours de la manifestation prévue samedi place de la République, le comité «La vérité pour Adama» a décidé de s’engager sur un nouveau front judiciaire.

Mercredi 10 juin, le collectif fondé par la sœur d’Adama Traoré, Assa Traoré, a ainsi annoncé sur sa page Facebook son intention de porter plainte contre plusieurs personnalités à la suite de propos jugés «intolérables». Sont visés les journalistes de RMC Jean-Jacques Bourdin et Nicolas Poincaré ainsi que la présidente du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen et le conseiller régional RN de Bourgogne-Franche-Comté Julien Odoul.

Au-delà de cet effet d’annonce, les plaintes ne semblent pas encore avoir été déposées. Les intéressés restent donc prudents sur le sujet, qui vient s’inscrire dans un contexte explosif. «J’attends très sereinement des nouvelles. Tant que je n’ai pas reçu de convocation judiciaire, pour moi cette plainte n’existe pas», déclare Me David Dassa-Le Deist, qui défend Marine Le Pen. Me Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille Traoré, n’a quant à lui pas répondu aux sollicitations du Figaro.

En cause, la matinale du 10 juin de RMC
Le collectif «La Vérité pour Adama» n’a visiblement pas apprécié l’émission matinale de RMC du mercredi 10 juin. Ce matin-là, à 7h52, Jean-Jacques Bourdin introduit un sujet sur la famille Traoré. «Il y a du boulot si vous voulez qu’on fasse le tour des casiers judiciaires de cette famille nombreuse», rebondit le journaliste Nicolas Poincaré, avant de détailler les affaires dans lesquelles sont ou ont été impliqués plusieurs membres de la fratrie.

Le camp Traoré reproche aux journalistes d’avoir, lors de cette énumération, «accusé Assa Traoré d’avoir exercé des pressions contre une victime pour qu’elle retire sa plainte» et «attribué des faits de viol à Adama Traoré». Le frère et la sœur «n’ont jamais été poursuivis pour ces faits», rappelle le communiqué. Contactés par Le Figaro, Jean-Jacques Bourdin et Nicolas Poincaré n’ont pas souhaité faire de commentaire. «Ils n’ont fait que leur travail, tout ce que les autres veulent, c’est qu’on parle d’eux», s’indigne un habitué des médias.

«Une stratégie d’intimidation»
Le comité veut par ailleurs attaquer Julien Odoul pour «injures», «diffamation» et «provocation à la haine et à la violence à l’encontre de personnes à raison de leur origine». L’actuel candidat RN à la mairie de Sens (Yonne) aurait «qualifié la famille Traoré de gang et de famille de délinquants et justifié la mort d’Adama en disant qu’il était une racaille». «J’ai rappelé la stricte vérité : c’est une famille au lourd passif judiciaire», réagit le trentenaire. «Quant à l’incitation à la haine, c’est dans les manifestations organisées par ce collectif que je la vois!»

Enfin, les proches du jeune homme décédé comptent déposer plainte pour «diffamation» à l’encontre de «la raciste Marine Le Pen» pour avoir «qualifié la famille Traoré de gang et dit que nous sommes tous des délinquants graves». Refusant d’aborder le fond du dossier, Me Dassa-Le Deist précise d’emblée qu’il se «réserve le droit de déposer plainte contre l’utilisation du terme infamant de ”raciste” qui est accolé à Marine Le Pen».

Le conseil de la présidente du RN déplore ensuite : «Ça feuilletonne tous les jours dans cette affaire du côté des parties civiles. Cette cascade de plaintes s’inscrit dans une stratégie d’intimidation visant à museler la liberté d’expression de toute personne qui n’aurait pas l’heur de plaire aux intéressés». Et de conclure : «S’ils pensent qu’avec ces procédés-là ils vont intimider Marine Le Pen, ils ont frappé à la mauvaise porte!»

«Je ne fais pas d’agit-prop comme les Traoré»
Les auteurs du communiqué glissent au passage que Marine Le Pen a «le même avocat qu’un des gendarmes» placés sous statut de témoins assistés dans l’enquête sur la mort d’Adama Traoré. De fait, Me Rodolphe Bosselut est bien l’avocat de deux gendarmes concernés par cette affaire, ainsi que le conseil de Marine Le Pen dans le dossier des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen.

Mais il n’intervient pas en matière de droit de la presse pour le RN et ne représentera pas la quinquagénaire si elle est attaquée en diffamation, tient-il à préciser. «Je défends mes clients de manière différente et distincte. Le dossier des assistants parlementaires n’a rien à avoir avec l’affaire Traoré», réagit Me Bosselut. «Moi, je fais du droit. Je ne fais pas de politique ni d’agit-prop comme les Traoré. Cette phrase du communiqué a évidemment pour but d’essayer de créer un amalgame, et les gens tombent dans leur piège. C’est consternant.»